La Belgique tournait au ralenti, au matin du lundi 15 décembre, en raison d’un mot d’ordre de grève générale et nationale décrété par les trois grands syndicats du royaume. Trains nationaux et internationaux, bus, métros étaient à l’arrêt, comme la quasi-totalité des services publics. L’espace aérien était fermé pour vingt-quatre heures, depuis dimanche soir, en raison d’un mouvement des contrôleurs aériens. Les écoles, les hôpitaux, de nombreux magasins et des entreprises du secteur privé, dont l’accès était barré, ont également été contraints de renoncer à leur fonctionnement normal. Les syndicats avaient également essayé de mobiliser les transporteurs routiers pour qu’ils bloquent les accès aux grandes villes.
Les tentatives de certains patrons, qui avaient lancé des actions judiciaires pour faire interdire des piquets de grève qu’ils jugent illégaux, ont été vaines. Et leurs appels aux autorités locales pour qu’elles fassent intervenir la police devaient également recueillir peu d’écho.
Ces actions de grande ampleur sont dirigées contre la coalition de droite, emmenée par le libéral francophone Charles Michel. Elle entend porter l’âge de la retraite à 67 ans, réformer le système des préretraites, limiter la progression des salaires en gelant temporairement l’indexation automatique des salaires – une particularité belge, devenue un tabou syndical –, économiser dans le secteur de la santé et réduire de 33 % à 25 % les charges patronales sur les salaires. Un programme présenté comme « de rupture » dans un pays qui fut longtemps consensuel et adepte d’un dialogue social très poussé.
« Une minorité impose sa loi »
Le débat semble toutefois « bloqué sur de vieilles recettes », comme le relève l’éditorialiste du magazine Trends-Tendances : les partis au pouvoir, « cimentés seulement par le malin plaisir d’avoir réussi à renvoyer les socialistes dans l’opposition », ont oublié leurs promesses d’ambitieuses réformes fiscales pour prôner une modération salariale somme toute assez timide. Face à cette situation inhabituellement tendue, le patronat oscille entre colère et inquiétude. La Fédération des entreprises de Belgique – l’équivalent du Medef invite le gouvernement à maintenir ses projets de « saut d’index » (une limitation salariale de 2 % qui rapportera 2,5 milliards aux entreprises en 2015), avant de réduire les charges sociales en 2016 et, plus généralement, de prendre des mesures pour la compétitivité d’une économie affaiblie.
Soutenus par une opposition socialiste virulente, les syndicats répondent en menaçant de durcir leur mouvement : des centrales des services publics annoncent un mouvement « au finish » qui pourrait gagner d’autres secteurs si le gouvernement ne retisse pas le fil de la concertation.
« Le conflit est parfois dur, mais la logique et le bon sens peuvent encore l’emporter », juge Jo Libeer, administrateur du Réseau flamand des entreprises (Voka), une organisation très écoutée par les dirigeants de sa région. Selon lui, le pays n’échappera toutefois pas aux réformes : « La banque nationale dénonce depuis dix ou quinze ans la maladie de ce pays qui vit au-dessus de ses moyens, situation qui n’a pas empêché les gouvernements successifs de mener des politiques très généreuses. » « Le mouvement n’est pas totalement incontrôlable, d’autant que beaucoup de gens en ont assez des grèves où une minorité impose sa loi à un secteur privé qui veut continuer à travailler », enchaîne Jean-François Heris, président de l’Union wallonne des entreprises et patron de l’entreprise verrière AGC Automotive.
La Wallonie connaît les mêmes handicaps que la Flandre
Patrons du nord et du sud sont unis pour souligner la nécessité de réformes dans un pays qui est parvenu jusqu’ici à accrocher le wagon des bons élèves de la classe européenne. Mais qui ne peut plus nier des difficultés qui viennent de lui valoir un rappel appuyé de la Commission de Bruxelles : avec un taux d’endettement remonté à 105 %, une balance commerciale négative et des dépenses publiques qui atteignent 54 % du produit intérieur brut PIB, il doit réagir.
Toujours à la recherche d’un difficile redressement, la Wallonie connaît les mêmes handicaps que la Flandre : un coût salarial supérieur de 7 % à celui des pays voisins, une énergie plus chère de quelque 35 %, une croissance qui n’atteint pas les 2 % nécessaires à la préservation du modèle social. Elle les cumule avec d’autres difficultés, souligne M. Heris : « Trop peu d’entreprises, et trop petites, ainsi qu’un enseignement inégalitaire et trop peu performant, qui fait qu’un élève wallon de 14 ans a, en moyenne, un an de retard sur celui d’un pays voisin ». Grevé par la lourdeur de sa machinerie publique, le pouvoir régional a, quitte à se rendre lui aussi impopulaire, élaboré un programme de rigueur : un fonctionnaire sur cinq seulement sera remplacé à l’avenir. D’où un autre coup de colère syndical.
S’il est plus vigoureux du côté francophone, le mouvement de contestation du gouvernement Michel mobilise toutefois aussi en Flandre. De quoi, au moins, rassurer le chef du gouvernement : son puissant allié flamand, l’Alliance néoflamande (NVA), le parti indépendantiste de Bart De Wever, ne peut pour une fois dénoncer des Wallons adeptes des grèves pour mieux leur opposer des Flamands travailleurs. « Patrons wallons et flamands se rejoignent sur beaucoup de sujets », affirme M. Heris. Son homologue M. Libeer lui répond en écho : « Il me semble qu’on mène les mêmes politiques dans les deux grandes régions du pays et je pense qu’il faut y gommer, de la même manière, l’angoisse des gens. »
LES TRANSPORTS SONT EXTRÊMEMENT PERTURBÉS
- depuis 22 heures dimanche soir, plus aucun avion n'a décollé ni atterri dans les aéroports en raison de l'arrêt de travail des contrôleurs aériens. Des vols ont été déviés vers les aérogares de pays voisins, en France (Lille), aux Pays-Bas (Maastricht et Amsterdam) et en Allemagne (Cologne), et des autobus affrétés pour transporter les passagers vers ou depuis les aéroports de Bruxelles et de Charleroi.
- Les trains ont également cessé de rouler dimanche soir, et aucun Thalys, TGV ou Eurostar (pour Londres) transitant par la Belgique n'est prévu.
- La navigation commerciale vers et depuis les ports de Zeebruges et d'Anvers a été stoppée dès dimanche pour raisons de sécurité.
- Aucun autobus, tramway ou métro ne doit circuler, en Flandre comme en Wallonie.
- Un syndicat de chauffeurs de camions a menacé de bloquer les autoroutes lundi matin.
- source:http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/12/15/la-belgique-paralysee-par-une-greve-generale_4540437_3214.html